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Les controverses au sein de l’activisme et le positionnement de l’éducation populaire radicale.

1. Les controverses théoriques au sein de la formation à l’activisme.

La documentation de formation à l’activisme laisse apparaître plusieurs controverses.

1.1. Théorie-pratique/Méthodes d’action

Certaines approches articulent une analyse théorique de la réalité et une stratégie d’action, d’autres approches se concentrent sur la stratégie et les tactiques d’action.

Lorsque l’approche comprend une analyse critique de la situation, elle accorde plus de place à l’éducation théorique dans le processus de formation des activistes.

En effet, la méthodologie de l’action est liée à une théorie critique précise. Dans ce cas, l’éducation populaire peut jouer un rôle dans la formation des activistes.

1.2. Actions systémiques/actions à court termes

Certaines approches méthodologiques n’ont pas de stratégie globale. Elles enchaînent des campagnes composées d’un ensemble d’action. Mais l’ensemble des campagnes ne dessinent pas une stratégie globale d’action.

L’avantage de se concentrer sur des victoires ponctuelles, c’est que cela permet d’éviter les débats de fond sur le projet de société. Ces débats peuvent en effet être source de divergences théoriques, et éloigner de l’action.

1.3. Cohérence éthique/efficacité

Certaines approches mettent en avant l’efficacité de l’action. D’autres approches mettent en avant au contraire la cohérence éthique. Cela signifie que ces approches vont rechercher une cohérence entre leur théorie critique et leur stratégie d’action, ou une cohérence entre leurs tactiques et la finalité de l’action.

On peut constater qu’il y a un lien entre d’un côté les approches qui se présentent comme des théories-pratiques, qui visent une action systémique, et la recherche de cohérence éthique.

1.4. Action minoritaire/Action de masse

Une autre opposition porte sur action minoritaire et action de masse. Une conception de l’action tournée vers l’efficacité peut tendre à privilégier l’action minoritaire. En effet, il peut être plus facile de coordonner un petit groupe qu’un grand groupe.

Néanmoins, l’action de masse s’appuie sur la puissance du nombre et donc possède une efficacité lié au pouvoir du nombre.

1.5. Organisation hiérarchisée/Organisation horizontale

L’action minoritaire peut supposer une organisation hiérarchisée pour plus d’efficacité et de sécurité. Mais cela peut être également le cas pour l’action de masse.

L’organisation horizontale peut être utilisée aussi bien pour les actions minoritaires – groupes affinitaires – que pour les actions directes de masse – coordinations.

1.6. Légalité/illégalité.

L’action minoritaire ou l’action de masse peuvent être légales ou illégales.

Certaines approches de l’action illégale privilégient l’action minoritaire.

1.7. Non-violence/diversité des tactiques.

Au sein des approches qui ont recours à l’action illégale, on trouve les tenants de la non-violence et ceux qui défendent la diversité des tactiques. Cette dernière combine action non-violentes et actions « violentes ».

2. La place de l’éducation populaire radicale

Pour pouvoir déterminer ce qu’est l’éducation populaire radicale, nous avons deux modèles idéal-typiques :

a) un modèle théorique qui est celui décrit par Paulo Freire dans Pédagogie de l’opprimé. Ce modèle a été cependant théorisé dans le cadre de luttes des guérillas contre des dictatures en Amérique latine.

b) un modèle pratique qui est celui de l’éducation populaire autonome au Quebec et qui est analysé dans l’ouvrage « L’éducation populaire autonome en mouvement : un recueil de pratiques » (2024) avec une grille d’analyse des pratiques de l’EPA.

Le terme «radical » accolé à « éducation populaire » renvoie à l’idée de mener une action directe. Alinsky, par exemple, fait du recours à l’action directe, un critère de distinction entre le libéral et le radical.

A partir de ces éléments, il est possible de considérer que l’éducation populaire radicale se caractérise par les éléments suivants :

2.1. La théorie-pratique (praxis) :

L’éducation populaire radicale n’implique pas seulement une théorisation stratégique et tactique, mais l’élaboration d’une théorie critique. C’est pourquoi l’éducation populaire radicale implique une théorie-critique.

La « synthèse culturelle », chez Freire constitue un moyen de dépasser le dilemme entre l’expérience sociale située et la théorie-critique systémique. Elle permet d’articuler les deux types de savoir.

Il en découle que l’éducation populaire se situe dans le cadre d’un activisme systémique, et pas seulement d’un enchaînement de campagnes.

2.2. La cohérence éthique

La cohérence éthique est le principe central de l’éducation populaire radicale qui permet d’articuler les autres positionnements.

En effet, le recours à l’éducation implique de mettre toutes les personnes au même niveau de formation et d’information pour que toutes et tous puissent décider.

Cela implique donc une démocratie au niveau des prises de décision, de l’organisation et de la manière de mener les actions.

L’éducation populaire reconnaît les capacités des personnes à être sujets de pensée et d’action. Les personnes sont donc légitimes et capables de produire du savoir, de s’auto-organiser et d’agir par elle-mêmes.

2.3. L’action directe de masse

L’éducation populaire radicale se caractérise, du fait de mettre l’accent sur l’éducation, par le fait de chercher à impliquer le plus grand nombre. Le sujet de l’éducation populaire est le peuple. Le peuple peut être une construction discursive comme l’explique Chantal Mouffe basée sur l’opposition eux/nous : le peuple et l’oligarchie.

De ce fait, l’éducation populaire se distingue des approches qui reposent sur des groupes minoritaires et des groupes hiérarchisés.

En revanche, il existe des actions directes de masse illégales (désobéissance civile) comme l’ont mis en œuvre Gandhi ou Luther King.

Il est nécessaire de distinguer action minoritaire, action de masse et action majoritaire. Une action de masse n’est jamais une action numériquement majoritaire. L’action minoritaire se concentre sur le groupe affinitaire ou le groupe discipliné.

3. Trois grands modèles de la formation à l’activisme :

– Le pôle efficacité par l’action de masse : Ce pôle met en avant les stratégies et les tactiques pour réussir une campagne d’action. Il accorde peu de place à l’analyse théorique de la société et à l’adéquation avec un projet de société alternatif. En effet, ces questions sont vues comme suscitant des divisions et éloignant de l’action immédiate. Le pôle de l’action efficace est divisé entre deux conceptions de l’efficacité. Celui qui considère que la force du nombre est le plus efficace. Le pôle qui considère qu’un petit groupe est plus efficace. Ce pôle de l’action de masse efficace est confronté à deux risques : a) le risque de manipulation, b) le risque d’utilisation des tactiques apprises en formation pour des projets non-progressistes.

– Le pôle de l’efficacité par l’action minoritaire : Ce pôle là est aussi divisé entre ceux qui estiment que le groupe horizontal, fonctionnant au consensus, est plus efficace et ceux qui préfèrent le petit groupe hiérarchisé. Les tenants du pôle efficacité peuvent parfois être prêts à utiliser la violence pour des raisons d’efficacité. Ce pôle appuie sa stratégie sur des « groupes affinitaires ». Ces groupes affinitaires du fait du faible nombre peuvent partager une analyse critique commune de la société et un projet de société. Le groupe affinitaire est souvent utilisé comme une tactique. Il peut être utilisé dans le cadre d’une organisation horizontale ou hiérarchisée. Dans ce dernier cas, le groupe affinitaire n’est qu’un élément au sein d’une tactique d’action. Comme il n’est qu’une tactique, le groupe affinitaire peut prendre place au sein d’une action directe de masse.

De ce fait, les deux pôles de l’action efficace ne sont pas hermétiques l’un à l’autre. Dans les théories de l’avant-garde, il y a une articulation entre un petit groupe discipliné et des actions de masse. Le rôle du groupe discipliné est d’orienté l’action de masse.

– Le pôle éducation populaire radicale : Ce pôle met l’accent sur l’éducation. De ce fait, il accorde une place importante à l’analyse critique de la société et à l’établissement d’un projet de société alternatif. Cela le confronte à plusieurs difficultés comme le risque de division interne autour de débats théoriques et d’éloignement de l’action. Ce pôle vise l’action directe de masse. Ceux qui vont le plus loin dans ce modèle, au nom de la cohérence éthique, peuvent prôner uniquement la non-violence.

Grille d’analyse basée sur 6 critères de trois approches de l’activisme :

Critères :

Education

populaire radicale

Community

organizing

Groupes affinitaires

Analyse critique

de la société

Oui

Non

Possible

Projet de société

Oui

Non

Possible

Organisation

horizontale (Démocratique)

vs.

hiérarchisée

Démocratique

Mixte (peut combiner

les deux aspects :

identification

et formation de

leaders, mais prise de décision collective depuis la base)

Horizontal (mais parfois s’inscrit dans un cadre hiérarchisé)

Action directe

de masse

vs.

action minoritaire

Masse

Masse

Minoritaire (mais des groupes affinitaires peuvent prendre place au sein d’une action directe de masse)

Légalité ou

Illégalité

Les deux sont possibles

Les deux sont possibles

Les deux sont possibles

Non-violence

vs.

Violence

Non-violence,

mais violence

possible dans

un contexte de

dictature

Non-violence

Les deux sont possibles

Priorité à la

cohérence éthique

ou à l’efficacité

Cohérence éthique

Efficacité

Cela dépend du contexte

On peut voir que le critère « légalité ou illégalité » est peu caractéristique pour pouvoir discerner entre les différentes formes d’activisme.

L’éducation populaire radicale se caractérise par des traits marqués : a) une analyse critique de la société, b) un projet de société c) une organisation démocratique d) le recours à l’action de masse e) la recherche de cohérence éthique.

Il est donc possible de voir que l’éducation populaire radicale se distingue des formes d’éducation à l’activisme qui n’accordent pas de place à la réflexion théorique (analyse critique de la société et imagination d’un projet de société alternative) et des approches qui reposent sur l’action minoritaire.

Le groupe affinitaire, étant plutôt une tactique, il n’a pas vraiment de caractéristiques bien définies. Néanmoins, il peut dans certains cas avoir des caractéristiques définies lorsqu’il constitue la tactique privilégiée d’un groupe minoritaire partageant une même analyse politique, un même projet de société, et le recours à l’action directe violente.

– Les trois cercles :

* Le cercle de l’autoformation collective : il s’agit d’un groupe affinitaire qui se forme entre pairs. Ce groupe peut déboucher sur de l’action directe minoritaire.

* L’éducation populaire radicale : Il s’agit d’élargir ce premier groupe en essayant d’aller vers un mouvement de masse. L’éducation populaire radicale a pour objectif d’élargir le nombre de personnes qui passent à l’action directe. Ce groupe peut déboucher sur de l’action directe de masse.

* La pédagogie publique critique : L’objectif de la pédagogie publique critique est d’élargir le cercle des personnes qui soutiennent l’action de masse sans nécessairement participer à l’action directe.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Irène Pereira (25 août 2025). Les controverses au sein de l’activisme et le positionnement de l’éducation populaire radicale. Les cahiers de pédagogies radicales. Consulté le 8 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14hy2


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