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Discussion M. Depoil et I. Pereira sur l’éducation radicale

Suite à la publication de l’article “De l’éducation radicale à l’éducation populaire radicale” (https://pedaradicale.hypotheses.org/5582), Mathieu Depoil*, nous a fait l’amitié de bien vouloir réagir à cet article. 

* Mathieu Depoil est doctorant en SDEF, et directeur de la Maison Phare. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs articles sur l’éducation populaire. Il a co-coordonné le n° de la revue Trema paru sur l’éducation populaire en 2025.

Réaction de Mathieu Depoil :

L’article “de l’éducation radicale à l’éducation populaire radicale” est tout à fait éclairant.

En tant que pédagogue, j’apprécie particulièrement la distinction que tu proposes entre “émancipation” et “libération”. À te lire, cela me semble fondamental… je n’y avais jamais pensé. Et là, ça ne me quitte plus… pour ma thèse aussi. Car “émancipation” est dans mon titre et je ne l’ai jamais défini ainsi. Je vais y repenser. Merci !

D’ailleurs, les néolibéraux utilisent le terme “émancipation” en effet…

Du côté de l’éducation populaire institutionnalisée, il est toujours intéressant de rappeler que l’institutionnalisation se fait au détriment des questions politiques et pédagogiques (Besse, Chateigner, & Ihaddadene, 2016). Je pense que cela peut expliquer le découragement des équipes au vu de la bureaucratisation des fonctions éducatives (effet du new public management et du processus de rationalisation).

Idem pour la différence entre minorités et peuple. Tout à fait éclairant d’un point de vue des pratiques de terrain. Ça ouvre vraiment des perspectives. Notamment sur nos travaux à la Maison-phare. Il est possible de faire les deux . Tous nos travaux avec les femmes musulmanes du quartier sont davantage tournés vers la question des minorités qui ne répond pas à la même définition et caractéristique que le “peuple” dans sa dimension à la fois politique et sociologique. Un vrai apport que tu proposes là.

Sur les “devenir-minoritaires” et l’exemplification que tu en fais, je suis loin d’être spécialiste et cela est très complexe, mais mon expérience dans le milieu libertaire et syndical me fait dire que c’est exactement ce qu’il se passe entre des lieux de type “zad” ou “squat” et les structures comme “la maison-phare”. Je ne pourrai pas t’expliquer en quoi ! Mais cette partie me parle particulièrement, ayant un pied dans les deux “mondes”.

Je me dis que ta logique comparative pourrait aller jusque là. Notamment en requestionnant cette dimension dans les champs de l’éducation populaire politique avec les coopératives, comme “les orageuses”, “l’ardeur”.

Un passage vraiment intéressant, malgré une forte complexité de concept pour moi, mais qui m’explique certaines choses qui pouvaient me “tracasser”.

Juste une question : lorsque tu parles de la “réappropriation des savoirs” des minorités, est-ce qu’il peut s’agir également d’une chose qui se passe à l’interne dans les espaces d’éducation radicale ? Ou le fait de s’y inscrire est plus par choix que par oppression ? Il ne me semble pas que le danger de réappropriation se trouve uniquement du côté de l’éducation populaire mais également peut-être au sein même des zones d’éducation radicale. Je ne sais pas !?

Un bel article qui lève pas mal d’ambiguïté et de mythe !

D’un coté la mythification de l’éducation populaire et du “peuple” mais également du côté de l’éducation radicale, qui n’est pas toujours “populaire” : rentre-t-on dans un squat comme dans une asso d’éducation populaire ? Quelle articulation pédagogique entre les 2 ? A creuser !

A bientôt,

mathieu

Réponse d’Irène Pereira :

Tu écris que les néolibéraux reprennent aussi la notion d’« émancipation ». Je trouve intéressant de remarquer que le président paléolibertarien, Milei, pour critiquer ses adversaires dise dans son discours de Davos de 2025: “(Ils ont) remplacé la liberté par la libération, en utilisant le pouvoir coercitif de l’État pour distribuer la richesse créée par le capitalisme.”

Je trouve que c’est très juste ce que tu dis: une minorité peut ne pas être populaire. Certains espaces où œuvrent des minorités actives sont assez fermés effectivement.

Si on part d’une perspective historique et sociologique, les mouvements sociaux sont toujours le fait de minorités. Lorsqu’on a une révolution, il y a une minorité active, mais qui peut être soutenue par une majorité qui n’est pas forcement dans l’action directe.

Il y a sans doutes une tension: plus on est du côté de l’action directe, plus on va être dans le pôle minoritaire. Plus on est du côté du pôle populaire, moins on va être dans l’action directe.

Il me semble néanmoins que cela met en avant l’idée que toute action d’éducation populaire ne vise pas à faire passer à l’action. Ce passage à l’action, c’est plutôt l’éducation populaire radicale. L’éducation populaire politique se concentre davantage sur le travail de conviction qui ne conduit pas nécessairement à l’action, mais qui a aussi sa place en particulier pour rendre populaire des actions minoritaires.

Il me semble donc que ta remarque est très importante pour répondre à ceux et celles qui disent qu’on ne peut pas introduire de l’éducation populaire dans une institution car les personnes se trouvent coupées de leur puissance d’agir (radicalement). Mais, le travail de conviction est aussi une dimension importante.

Tu me demandes si les minorités sont forcément des personnes directement opprimées. Cela peut être le cas, mais il n’y a pas toujours coïncidence entre minorités sociologiques et minorités agissantes. Mais il arrive assez souvent que les minorités de l’éducation radicale soient des minorités opprimées (comme dans les groupes de conscience et d’action féministes).

Dernier point, est-ce que les savoirs peuvent être réappropriés dans l’éducation radicale ? Il est possible qu’une minorité se réapproprie les savoirs d’une autre minorité en l’invisibilisant.

à bientôt

Irène


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
pedaradicale (20 avril 2025). Discussion M. Depoil et I. Pereira sur l’éducation radicale. Les cahiers de pédagogies radicales. Consulté le 11 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13s27


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