Qu’est-ce que la philosophie didacticienne en éducation populaire ?
Autrice: Irène Pereira
Nous reprenons l’expression « philosophie didacticienne » à Patricia Verdeau (2013). Mais, nous ne prétendons pas être fidèle à ses analyses dans la mesure où la réflexion de Patricia Verdeau est orientée vers le contexte scolaire, alors que la nôtre est orientée, hors l’école, vers les pratiques philosophiques dans la cité, dans le cadre de l’éducation populaire et de l’éducation citoyenne tout au long de la vie.
Telle que nous la définissons, pour notre part, nous considérons la « philosophie didacticienne » comme une branche de la philosophie de l’éducation. Mais cette branche se trouve à la croisée entre la philosophie et la didactique.
La philosophie didacticienne se distingue de la philosophie de l’éducation par le fait que son objet n’est pas l’éducation. Donc, on ne parle pas de philosophie didacticienne comme on parle de philosophie politique, philosophie des sciences ou philosophie de l’art. La philosophie didacticienne peut avoir n’importe quel domaine de la philosophie pour objet : la politique, les sciences, l’art ou l’éducation….
Mais, il s’agit bien d’une branche de la philosophie de l’éducation en ce que la philosophie didacticienne a une visée didactique. Elle n’est pas néanmoins une didactique en elle-même. Il s’agit bien d’une branche de la philosophie en ce qu’elle est basée sur une activité proprement philosophique : conceptualiser, problématiser et argumenter pour discuter philosophiquement à l’oral ou à l’écrit.
On peut se demander quelle peut être l’apport de la philosophie didacticienne à la recherche philosophique générale. La philosophie didacticienne peut proposer la création de nouveaux problèmes, de nouveaux concepts ou encore de nouveaux arguments relativement à un sujet donné. Elle peut proposer une analyse philosophiquement originale des corpus sur lesquels elle s’appuie. Elle peut également proposer le développement philosophique original d’une position dans la discussion du corpus.
En revanche, c’est sa visée qui est didactique. Elle vise à produire, à l’issue de l’activité philosophique, des « outils didactiques » à l’usage de non-spécialistes de la philosophie pour des pratiques philosophiques dans la cité. Il peut s’agir par exemple de produire des « balises curriculaires »: balises pour conceptualiser, balises pour argumenter, balises pour problématiser.
Une autre spécificité de la philosophie didacticienne, telle que nous la pratiquons, est de ne pas prendre appui sur des corpus philosophiques canoniques. Cela ne veut pas dire que nous ne recourrons pas à des auteurs de la tradition philosophique pour discuter philosophiquement les corpus. Mais, nous souhaitons partir d’autres corpus qui peuvent être des controverses intellectuelles dans l’espace public, des débats de société dans les médias, des corpus de textes militants…
Cette dernière caractéristique néanmoins n’est pas une caractéristique essentielle. En effet, on peut très bien imaginer une philosophie didacticienne qui prenne appui sur des corpus de textes philosophiques académiques. Néanmoins, il nous semble que le fait pour la philosophie didacticienne, de partir de corpus non-proprement philosophiques, peut-être plus en lien avec les visées citoyennes de l’éducation populaire. En effet, il s’agit alors d’aider les personnes à pouvoir plus facilement s’emparer des enjeux philosophiques des débats publics.
Résumé : La philosophie didacticienne en éducation populaire :
– une philosophie qui s’appuie sur des corpus de texte ayant une portée philosophique, mais pas nécessairement sur des textes philosophiques académiques.
– une philosophie, proprement philosophique, dans la mesure où elle s’appuie sur l’activité philosophique (conceptualiser, problématiser et argumenter) et peut s’appuyer également dans la discussion des corpus sur des textes philosophiques académiques.
– une philosophie ayant une visée praxéologique didactique, avec par exemple, l’objectif de produire des balises curriculaires réutilisables dans des pratiques philosophiques dans la cité.
Empiricité et philosophie didacticienne:
Dans l’Antiquité, il est possible de distinguer deux voies au sein de la philosophie. Platon représente une philosophie purement spéculative et conceptuelle qui part des idées abstraites.
Aristote représente l’idée d’une philosophie qui s’appuie sur les connaissances empiriques de son époque. Néanmoins, au fil des siècles, surtout à partir du XIXe siècle, la philosophie s’est vue délestée de sa dimension empirique au profit de la sociologie, de la science politique, de la psychologie…et plus généralement des SHS.
Le recours qu’effectue la philosophie didacticienne à un corpus non-académiquement philosophique permet de renouer avec la tradition de l’enquête empirique en philosophie (d’une manière un peu différente de la philosophie de terrain qui s’appuie sur l’enquête de terrain comme en sociologie ou en ethnologie).
Là, il s’agit plutôt comme l’historien de s’appuyer sur des corpus textuels de nature divers (comme des corpus issus de la presse). Mais ces corpus sont analysés selon une approche philosophique pour en faire ressortir les enjeux philosophiques.
Bibliographie :
Verdeau, P. (2013). La Philosophie didacticienne. De la philosophie de l’éducation à la didactique de la philosophie (pp. 366-p). Mélibée.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
pedaradicale (23 mars 2025). Qu’est-ce que la philosophie didacticienne en éducation populaire ? Les cahiers de pédagogies radicales. Consulté le 12 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13jw3